Ce qui n'a pas de nom n'existe pas. La sentence peut paraître cruelle mais depuis l'aube des temps humains, les enfants d'Adam et Eve se sont attachés à nommer les choses, les gens et les idées, les faisant de fait exister par cette opération conceptuelle. A ce titre et pour encore dire du mal d'un pays que l'on adore, l'Algérie nouvelle est certainement le cauchemar du facteur. Comment se repérer dans toutes ces nouvelles constructions sans identité, plantées sur des lieux qui n'ont pas de nom, dans des quartiers qui n'ont pas de dénomination et où les rues ne sont pas identifiées ? Il faut s'orienter à un magasin, un poteau ou un inamovible hittiste. Pas de noms ? L'histoire remonte en réalité plus loin et plus haut, aux colonels ou généraux du MALG ou du DRS qui n'ont pas de noms et s'identifient par des prénoms, de Fawzi à Toufik, souvent des faux d'ailleurs, et qui sont plus proches du raï que de cette noble fonction institutionnelle.
D'une façon générale d'ailleurs, toutes les personnes aux prises avec l'administration de l'Etat savent qu'il ne sert à rien d'appeler un ministère ou une institution pour demander après un responsable officiel. D'abord, personne ne répond, et quand quelqu'un répond, aucun responsable n'est présent. Ce qui oblige chacun à essayer de trouver le numéro de Omar, Hichem ou Amel, dont personne ne connaît la véritable fonction officielle mais que tout le monde connaît comme une personne qui est habilitée à régler des choses par une procédure discrétionnaire qui elle-même n'a pas de nom. Pourquoi donner des noms finalement dans un système qui fonctionne de manière parallèle, où les personnes les plus influentes ne sont pas identifiées ? Il viendra un jour, certainement prochain, où le prénom Saïd, dont la fonction officielle n'est pas claire, sera plus célèbre que Abdelaziz, dont la fonction est officiellement suprême. Si ce n'est pas déjà fait.